Sans entrer dans des détails trop techniques, une précision pour commencer sur le livre de Baruch entendu en première lecture. Il fait partie de ce qu’on appelle les livres deutérocanoniques, ces livres de la Bible reconnus par la tradition de l’Eglise catholique comme faisant partie de ce qu’on appelle le canon des écritures, la Parole de Dieu, mais dont la légitimité a été contestée par la Réforme. Vous ne le trouverez donc pas dans une Bible protestante et donc pas à la même place dans une Bible catholique ou dans la Traduction Œcuménique de la Bible, la TOB. Il nous est présenté comme écrit par Baruc, secrétaire du prophète Jérémie et adressé au peuple d’Israël en exil. Il l’encourage à rester fidèle au culte rendu à Dieu à Jérusalem, à garder l’espérance. Il lui annonce un retour : « Tu les avais vus partir à pied, emmenés par les ennemis, et Dieu te les ramène ». On te nommera « Paix-de-la-justice ». La paix et la justice vont toujours ensemble dans la Bible.
Quitte ta robe de tristesse, revêts la parure de la gloire de Dieu, nous pouvons l’entendre en écho à notre baptême, quand l’apôtre Paul parle de nous dépouiller du vieil homme et de revêtir l’homme nouveau. Jean-Baptiste dans l’évangile, proclame dans le désert un « baptême de conversion », littéralement un plongeon en vue d’un retournement. En ce temps de l’Avent, nous sommes invités à un retournement, c’est aussi le sens du mot conversion au ski. Un retournement vers Dieu, car on ne se convertit qu’à Dieu ! Et Dieu nous est annoncé dans la première lecture comme Celui qui vient. Croire au Dieu qui vient ! c’est le titre d’un ouvrage du théologien Joseph Moingt. Dieu vient vers nous, mais nous ne le verrons pas venir si nous sommes tournés vers le passé, figés par nos peurs, repliés sur nous-mêmes !
Le temps ordinaire se terminait par l’appel à rester éveillés, à prier sans cesse. L’Avent prend le relais pour nous maintenir en attente. Dieu vient vers nous. Mais encore nous faut-il être présents pour l’accueillir. Présents, pas fuyants devant ce que nous avons à vivre, ou nous projetant dans un futur imaginaire ou encore dans le regret d’un passé plus heureux. Accueillir l’instant présent est la seule façon d’accueillir Dieu, car ce n’est qu’au présent que Dieu se donne, c’est dans l’ici et maintenant qu’Il vient à nous.
Le philosophe Paul TILLICH distingue « deux formes d’attente : l’attente passive, dans la paresse, et l’attente réceptive, dans l’ouverture. Celui qui attend passivement dans la paresse empêche la venue de ce qu’il attend, écrit-il. Celui qui attend dans une tension tranquille, ouverte à ce qu’il peut rencontrer, œuvre pour la venue [de ce qu’il attend] ». C’est assurément à cette forme d’attente réceptive que nous invite ce temps de l’Avent, une attente qui alimente l’Espérance. Mais peut-être sommes-nous tentés de désespérer de tout, à commencer par nous-même. La politique peut nous sembler désespérante, l’actualité internationale peut nous sembler désespérante, et l’approche de Noël incongrue dans un contexte de crise qui nous laisse abattus. Incongrue ou hors-sol, comme une parenthèse féérique sans lien réel avec ce qui se passe autour de nous. Or l’évangile de ce dimanche commence par une composition de lieu très précise dans le temps : « L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, … » L’enjeu de cette attente est bien de l’inscrire dans la réalité de nos vies, dans toute la réalité de nos vies dans ce qu’elles ont de plus désespérant et le premier combat est de ne pas désespérer de nous-même, d’entendre que Celui qui vient à nous ne désespère pas de nous.
C’est Lui qui a l’initiative comme l’écrit Paul aux Philippiens quand il évoque celui qui a commencé en eux un si beau travail et qu’il continuera jusqu’à son achèvement. C’est une très belle phrase que dit l’évêque le jour de l’ordination à celui qui va être ordonné : « que Dieu achève en vous ce qu’il a commencé ! » Chacune, chacun de nous peut l’entendre pour soi en ce temps de l’Avent et relire dans sa vie l’œuvre de Dieu, y discerner ce beau travail qu’Il a commencé en chacune et chacun de nous. Car désespérer de soi, ne pas voir dans sa vie l’œuvre entamée par Dieu, c’est désespérer de Dieu. Peut-être pouvons-nous commencer par rendre grâce de ce qu’Il a initié en nous, pour nous retourner vers Lui qui vient vers nous, nous retourner avec confiance vers l’avenir qu’on pourrait écrire en deux mots : à-venir, car se tourner vers l’avenir, c’est se tourner vers Celui qui vient à notre rencontre. C’est à cela que nous sommes invités en ce temps de l’Avent qui n’est pas un temps triste mais un temps où nous avançons dans la confiance.
Le combat de l’espérance me semble aussi passer par la décision de ne pas désespérer de l’autre, pas de l’autre en général, d’un autre virtuel ou lointain, non, mais ne pas désespérer de mon voisin, de mes proches, de mes collègues, choisir très concrètement de ne pas les enfermer dans leurs erreurs, d’ouvrir une brèche dans les impasses de nos déceptions, de toujours permettre de nouveaux possibles dans la relation. Le combat de l’espérance commence là. Là se vit cette attente qui hâte l’achèvement du travail commencé par Dieu en nous, la réalisation de cette promesse que nous livre l’évangile de ce jour : tout être vivant verra le salut de Dieu ! Amen !
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